BIDACHE de J.P. Brisset :
Bidache est un village qui porte bien son nom : en effet, ce nom, vient sans doute de bide (chemin) et axen (croisée). Et on peut dire que le village se situe réellement en pays « charnégou », à la croisée des chemins de la Navarre (au Sud), du Labourd (à l’Ouest), de la Gascogne (au Nord) et du Béarn (à l’Est). Cette situation, dans une zone où se mélangeaient cultures et influences diverses, fut à la fois riche et inconfortable pour ses habitants.
ORIGINES
Les archives de la Navarre et de Bayonne citent Vidassum en 1306, Vidaxen en 1312 et Bidassen en 1489, mais le site a certainement été occupé dès la préhistoire, comme l’attestent les outils en silex du Paléolithique retrouvés sur les collines de la commune.La seigneurie de Bidache apparait en 1215, et son histoire est fortement liée à celle des Gramont, qui y édifient un château-forteresse entre 1274 et 1329, suite à la destruction, sur les ordres du roi d’Angleterre, de leur première forteresse d’Agramonte à Viellenave-sur-Bidouze .La principauté souveraine est reconnue en 1570, ce qui est confirmé en 1609 par une ordonnance d’Henri IV, reconnaissant officiellement au Seigneur de Gramont sa qualité de Souverain de Bidache. Il possédait les droits souverains d’asile, de législation et de justice.
Un peu de géographie, de climatologie et d'économieVéritable enclave entre la Gascogne au nord, le Béarn à l’est et le Pays Basque au sud et à l’ouest, le territoire de Bidache fait partie du piémont sous-pyrénéen avec ses coteaux, ses terrains sédimentaires et ses terrasses alluviales. La Bidouze est une voie d’eau navigable à partir de Came, elle prend sa source dans le massif des Arbailles en Pays Basque et traverse le village. La Bidouze y reçoit un de ses affluents, le Lihoury puis elle s’étale dans sa basse vallée, en partie marécageuse avant de se jeter dans l’Adour, à Guiche.
Au sud-est de la terrasse de Bidache s’étendent la vallée du Lihoury et un vaste plateau ondulé, pays de bocage où s’égaye un habitat dispersé. Là, le terrain est constitué de couches composées d’un calcaire très dur, esquilleux, traversé de ruban de silex que les géologues appellent le grès vert de Bidache ou pierre de Bidache, exploité dans les carrières qui s’ouvrent au flanc des collines.
Au sud-ouest, s’étend le massif large et compact des bois et landes de Mixe qui recouvrent des croupes aplanies de 150 à 250 m de haut et qui constituent une véritable barrière linguistique et ethnique entre Bidache et la province basque de Basse-Navarre.
Tout à fait à l’ouest, Bidache étire sur une ligne de crête sa frontière avec Bardos, en terre basque du Labourd.
Au nord, les barthes de la Bidouze poursuivent leur chemin jusqu’à Hastingues, Guiche et Sames.
Situé à 30 km de Bayonne, le canton a un climat océanique avec un printemps pluvieux, un été chaud parsemé d’orages, un automne souvent plus beau et plus stable que l’été, un hiver assez doux avec des périodes de beau temps et des journées maussades surtout en décembre mais jamais bien froid.
Bidache est le chef-lieu d’un canton essentiellement rural.
Les cultures dominantes sont le maïs et le fourrage, cultures de moins en moins morcelées par les bois et les landes et marquées par « la révolution du maïs hybride » avec un maintien de l’élevage des bovins notamment de la « blonde d’aquitaine » appréciée pour la qualité de sa viande et de l’élevage de canards.
PLAN DE BIDACHE
LE CHÂTEAU
Il est pris d’assaut et incendié en 1523 par l’armée de Charles Quint, sous les ordres de Guillaume d’Orange qui n’avait pas pu s’emparer de Bayonne. L’archevêque de Bordeaux, Charles de Gramont, le fait reconstruire, et deux ans plus tard, en 1525, on y célèbre la noce de Claire, héritière des Gramont, avec Menaut d’Aure, seigneur d’Asté en Bigorre. En 1574, Antoine Ier de Gramont en renforce les défenses.
C’est en 1642 qu’Antoine II de Gramont décide d’en atténuer le caractère de forteresse, en créant un ensemble architectural au-devant du château et en aménageant les jardins. Son fils aîné Antoine III, Maréchal-Duc de Gramont, continue cette œuvre, et Antoine IV fait élever à son tour un nouveau portail au fronton armoiré vers 1710.
Il faut dire que les travaux entrepris avaient un but bien précis : la réception de Mazarin, qui devait séjourner à Bidache en Juillet 1659 dans le cadre des négociations préliminaires au traité des Pyrénées. D’autres personnalités font également partie des hôtes célèbres de Bidache :
– Charles IX et sa mère, Catherine de Médicis, le 22 juillet 1565 ;
– Henri III de Navarre (futur Henri IV) vient saluer sa maîtresse Corisande de Gramont le 10 Novembre 1586, et lui rendre hommage des trophées de sa victoire de Coutras ;
– Pendant toute l’époque de Corisande, on verra les visites de Catherine de Bourbon, et des Princes de Condé et de Mayenne ;
– Enfin quelques siècles plus tard, viendront Napoléon III et Eugénie.
A partir de la fin du XVIIème siècle, les Gramont, attirés par la cour royale, délaissent de plus en plus Bidache pour Versailles, et le château est rarement habité. Pillé à la Révolution, utilisé comme hôpital militaire, il finira ravagé par un incendie en 1796. Un projet de restauration demandé en 1890 demeura sans suite.
LES ACTIVITÉS DE BIDACHE
La terre, la pierre et l’eau sont les trois pôles économiques de Bidache à travers les siècles. Au XVIIème et XVIIIème siècle, vient s’y greffer une activité annexe : la contrebande de tabac, favorisée par la situation géographique du village, entre plusieurs royaumes. Environs 400 quintaux par an sont stockés dans les entrepôts de Bidache, à 300 livres le quintal. Les 2777 habitants que Bidache comptait en 1848 (contre seulement 1400 de nos jours) témoignent de son ancienne prospérité.
L'EAU
Le port de la souveraineté de Bidache, comme ceux de Came et Guiche, a connu une grande activité. De nombreuses marchandises empruntaient la voie fluviale jusqu’à Bayonne, puis plus loin : bien entendu, les pierres de Bidache, mais également du bois de construction et de chauffage, des barriques de vin de jurançon, du sel de Salies de Béarn, des brebis de la Vallée d’Aspe, des jambons de Lahontan, des bonnets, clous et mitaines de La Bastide Clairence… On importait par le même moyen des barils de poisson salé (harengs, morue, sardines), des quintaux de poivre, de safran et d’huile, des ballots de drap d’Angleterre et de toile d’Hollande, de la mercerie…
Etant donné le mauvais état et le manque de sécurité des chemins, les hommes d’arme et les voyageurs empruntaient également cette voie.
Les bateaux de cette époque (le galion, la tilhole, la pinasse, la galupe) se caractérisaient par leur grande taille et leur faible tirant d’eau. Au XIXème siècle, ils étaient 2200 à naviguer sur la Bidouze, et en 1898, 93 035 tonnes de frêts étaient transportées.
LA PIERRE
L’extraction de la pierre dans les carrières à ciel ouvert, au flanc des collines, fut l’activité la plus importante du duché. Le plus gros client, après le duché, est la ville de Bayonne qui a de gros besoins pour ses fortifications, ses ponts, son pavage et les digues de l’Adour.
La pierre de Bidache est un calcaire très dur, contrarié par des veines de silex, qui peut atteindre de 400 à 500 mètres de profondeur, et appelée « la tigne » par les carriers. En 1848, 500 hommes, 40 femmes et 80 enfants travaillent à l’extraction de la pierre, qui est ensuite exportée vers Bayonne, mais aussi Bordeaux, Saint-Domingue, la Guadeloupe…
L'ÉGLISE
L’ancienne église collégiale était de petites dimensions : un clocher porche, une nef unique flanquée de collatéraux. Saint Vincent de Paul y reçut la tonsure et les ordres mineurs le 20 décembre 1596.
Elle fut entièrement reconstruite aux environs de 1880. Parmi les trois projets présentés, celui qui est adopté consiste à exécuter les travaux en trois parties : le porche, la nef et le chœur. Cette reconstruction durera 13 ans : l’entrepreneur n’ayant pas respecté les accords l’obligeant à n’employer que des matériaux neufs, un procès est ouvert par le Conseil Municipal.
Devant le maître-autel, une dalle de marbre noir recouvre le caveau de la Maison de Gramont, ruiné et profané pendant la terreur, et rétabli en 1819 par le Duc Antoine VIII, qui fit réunir dans un même cercueil les ossements de ses ancêtres.
Vers 1930, le chemin de croix a été décoré de remarquables fresques par le peintre Béarnais René-Marie Castaing, grand prix de Rome. Enfin, une statue et un vitrail du XIXème dans le chœur font référence à St-Jacques.
LA COMMUNAUTÉ JUIVE
Vers 1652, s’est installée une colonie juive à Bidache, et sur quelques villages alentour, venant de Bayonne et comptant de 120 à 190 personnes, et qui y est restée jusqu’à la fin du XVIII° siècle. Ce sont avant tout des marchands en constante collaboration avec les juifs de Saint-Esprit de Bayonne et ceux d’Amsterdam. À Bidache, ils s’occupent, entre autres, de commerce de détail, mercerie, maïs, tabac, etc..Ils n’ont pas introduit le chocolat en France. Mais ils ont utilisé les fèves arrivant d’Amérique du Sud dans le port de Bayonne, pour améliorer la recette du chocolat par l’ajout d’édulcorants (sucres, etc) et en organiser la commercialisation. Le cimetière juif, présentant aujourd’hui 94 pierres exposées, est un témoignage toujours actuel de leur présence en Pays de Bidache.
Après leur expulsion d’Espagne par les Rois Catholiques, puis du Portugal par Manuel I, c’est sous le nom fictif de « marchands portugais » que l’installation des exilés juifs est acceptée par le roi de France Henri II en 1550.
Depuis 1486, Roger de Gramont est devenu maire héréditaire de Bayonne. Dans leur administration, ses héritiers doivent gérer la concurrence que les commerçants juifs génèrent à Bayonne. En 1602, Diane d’Andouin, mère d’Antoine II, obtient d’Henri IV un arrêt qui autorise les juifs à s’installer dans les terres, et demande au sieur de Gramont, Gouverneur de Bayonne, de les « soutenir en leur faisant toute faveur et assistance ». Dès lors, la famille de Gramont s’instaure protectrice des juifs, et Antoine II leur ouvre les portes de Bidache à partir de 1627.
Mais l’opposition des populations du bord de l’Adour va freiner cet accueil qui va s’engager au compte-gouttes. Mais en 1672, Henri de Froidour, envoyé par Louis XIV, qui a besoin de bateaux à voiles pour mener ses conquêtes maritimes, parcourt le Royaume de France pour établir l’inventaire des forêts susceptibles de fournir des troncs d’arbres capables de porter ces voilures. Cet agent territorial décrit ses visites, et le 14 octobre, il indique, dans son rapport, qu’il passe à Bidache, souveraineté du maréchal de Gramont (Antoine III), « fort peuplée de juifs qui, depuis dix-huit ou vingt ans y trouvent retraite ». Depuis 1652/54, les juifs sont désormais installés en nombre à Bidache.
Mais si on les accepte pour y vivre, il faut aussi prévoir qu’ils peuvent y mourir. Le duc leur donne donc un terrain, mais diamétralement opposé au cimetière traditionnel du village. Protégés par les Gramont, les juifs vont rester à Bidache pendant un siècle et demi.
Après la Révolution, les Gramont ont perdu leurs privilèges et n’ont plus les moyens de protéger la communauté israélite, et les juifs quittent Bidache pour se regrouper à Bayonne.
À la suite de leur départ, l’entretien du cimetière va faire l’objet d ‘une série d’accords entre des habitants de Bidache et le Consistoire de Bayonne, accords peu surveillés, et surtout peu respectés. Cela génère une série de plaintes et de procès qui s’étalent tout au long des 19ème et 20ème siècles.
En 1985, des travaux entrepris par la mairie de Bidache, permettent de nettoyer le terrain, puis de présenter, sur 300 m2, les pierres tombales les plus expressives, telles qu’on peut aujourd’hui les visiter.
Le cimetière est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, pour le sol, le sous-sol, la porte d’entrée et le mur de clôture, depuis le 26 septembre 1995."